Le rapport à la spiritualité des jeunes adultes en Suisse romande : Une enquête du SPI Suisse romande
Pour répondre à des besoins exprimés par des acteurs et actrices de l’Eglise catholique de Suisse romande, le tout jeune SPI Suisse romande, ouvert en septembre 2023 et dirigé par Isabelle Jonveaux à Lausanne, a mené sa première recherche sur le rapport à la spiritualité des jeunes adultes. Pour ce faire, une enquête par questionnaire a été conduite au printemps et à l’été 2024, qui a recueilli 500 réponses exploitables de jeunes adultes de 16 à 30 ans et provenant des six cantons de Suisse romande. 416 se disent catholiques. Parallèlement, neuf entretiens qualitatifs ont été menés.
Un résultat inédit : des jeunes hommes plus pratiquants
Graphique 1: Croyance, relation à Dieu et pratique de la messe pour les hommes et les femmes (réponses « oui » + « oui, beaucoup »).
Depuis ses origines, la sociologie des religions a observé une plus grande pratique religieuse chez les femmes par rapport aux hommes. Or, il ressort de cette étude que les jeunes femmes, bien qu’elles se disent plus croyantes et ayant plus une relation avec Dieu, vont moins à la messe que les jeunes hommes.
Cette tendance, déjà observée depuis deux ans aux Etats-Unis dans les milieux évangéliques, est relativement inédite en Europe et mérite d’être creusée pour en comprendre les raisons.
Ce résultat ne témoigne pas seulement du fait que la pastorale orientée vers le public des jeunes hommes a fonctionné, car l’on aurait dû atteindre une relative égalité. Il montre aussi que les jeunes femmes fréquentent moins la messe. Ne s’y sentent-elles plus accueillies ? Les entretiens montrent que certaines se trouvent dérangées par des formes de patriarcat ou de revirilisation du catholicisme.
Des jeunes urbains plus pratiquants que les jeunes ruraux
La sociologie des religions a montré tout au long du XXe siècle une pratique religieuse plus ancrée à la campagne comparée aux villes marquées de plus en plus par la déchristianisation. Or, l’échantillon présente pour plusieurs variables une religiosité plus marquée en contexte urbain, comparé au contexte d’agglomération intermédiaire et encore plus, au contexte rural.
Graphique 2: Différences selon le contexte géographique d’habitation pour la croyance en Dieu (réponses « oui » et « oui, beaucoup »), la pratique d’une activité religieuse ou spirituelle (au moins une fois par jour), la pratique de la messe (réponses « souvent » et « très souvent ») et l’intérêt que pourrait susciter la messe (réponses « oui » et « oui, beaucoup »).
Une plus faible fréquentation de la messe, de groupes de prière, groupes musicaux, etc. en milieu rural pourrait s’expliquer par une offre moins présente comparé aux villes. Or, l’on remarque parallèlement que ces activités intéresseraient moins les jeunes adultes vivant en milieu rural, même si elles étaient proposées, et que de manière générale, ces derniers pratiquent moins souvent une activité spirituelle ou religieuse (qui peut être la prière personnelle). Cette moindre pratique est un reflet d’une moindre adhésion à la croyance, car les jeunes ruraux disent en outre moins croire en Dieu comparé aux milieux intermédiaire et urbain. Une inversion s’est donc produite pour la religiosité institutionnelle qui se trouve revitalisée dans les contextes urbains, tandis que le recul se poursuit dans les contextes ruraux.
La religion : une ressource contre l’anxiété
Graphique 3: Ressources auxquelles les 16-30 ans font appel en fonction de l’intensité de la relation à Dieu déclarée.
Il apparaît clairement sur ce graphique que pour les jeunes adultes qui disent avoir une relation avec Dieu, la spiritualité, par la prière ou la méditation (courbe rouge), est une ressource à laquelle ils font appel dans les moments d’anxiété. Elle devient même la première ressource pour ceux qui disent avoir ou avoir vraiment une relation avec Dieu. Parler à un accompagnateur spirituel (courbe violette) augmente aussi sensiblement avec la relation à Dieu affirmée.
Cela montre que pour les jeunes adultes de 16 à 30 ans, le fait d’une vivre une spiritualité leur permet d’y avoir recours pour combattre l’anxiété ou trouver un mieux-être dans les moments difficiles. Elle a donc un impact positif sur la santé mentale.
La fluidité spirituelle : une continuité dans la recherche
Si l’affiliation au catholicisme demeure une affaire de famille dans le sens où c’est l’éducation religieuse dans la famille qui détermine en plus grande partie l’affiliation religieuse des 16-30 ans, d’autres parcours que nous pouvons qualifier de fluidité spirituelle ressortent de l’enquête.
Ces jeunes adultes, venant d’un milieu familial chrétien ou non, se sont intéressés à différentes spiritualités (par exemple bouddhiste, druidique…) avant d’opter sciemment, dans le cadre de notre étude, pour la religion catholique. Ils se montrent capables de structurer leur recherche spirituelle dans un discours narratif qui évalue de manière rationnelle les apports des différents systèmes de croyances. Des éléments surnaturels peuvent intervenir à la charnière, mais ne sont pas omniprésents dans ces discours. Un point commun repérable dans une part de ces parcours spirituels est l’impression de ne pas trouver toutes les réponses ou des réponses suffisamment satisfaisantes, notamment à la souffrance, dans d’autres types de spiritualité.
Ces jeunes adultes décrivent leur parcours spirituel dans une certaine continuité et non des ruptures que l’on associe pourtant souvent à l’idée de conversion. Les ruptures concernent plutôt les pratiques qui radicalement avec la conversion, que les systèmes de croyances pour lesquels ils établissent des formes de continuité.
Les jeunes adultes catholiques moins préoccupés par l’écologie
Graphique 4: Réponses « oui » et « oui, beaucoup » à la question « Quelles sont tes préoccupations actuelles ? » en fonction du degré de relation à Dieu déclaré.
Les jeunes adultes de l’échantillon sont tout d’abord préoccupés par eux-mêmes, puis par ce qui les touche au plus proche, leur couple. Cette préoccupation pour eux-mêmes confirme les indicateurs de santé mentale des jeunes dans un contexte incertain. Cette préoccupation augmente avec le degré de relation à Dieu déclarée. En revanche, l’on observe que plus les jeunes adultes de l’échantillon affirment une relation à Dieu, moins ils se montrent préoccupés par les questions environnementales. Seulement 32% de ceux qui disent avoir une relation très proche à Dieu se disent préoccupés par les questions environnementales, alors que 54% de ceux « sans relation » disent l’être.
L’engagement dans la foi catholique agit donc de manière négative pour les préoccupations concernant les questions écologiques, et dans une moindre mesure, les questions sociales.
L’Eglise conserve une crédibilité aux yeux des jeunes adultes pour les questions existentielles et éthiques
Graphique 5: Réponses à la question « Penses-tu que l’Eglise à quelque chose de pertinent à dire sur ce sujets », réponses « oui » et « oui, beaucoup »
L’on pourrait croire que l’Eglise institutionnelle a fortement perdu en crédibilité vis-à-vis des jeunes adultes, d’autant plus depuis la publication du rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique de Suisse en 2023. Or, cet échantillon à grande majorité catholique et plutôt croyant, reconnaît des compétences à l’Eglise tout d’abord sur les grandes questions existentielles, puis sur les questions sociales et les inégalités et enfin les questions éthiques. En revanche, moins de la moitié lui reconnaît des compétences sur les questions écologiques, malgré le positionnement de l’Eglise dans ce domaine, notamment depuis la publication de l’encyclique Laudato si en 2015.
L’expérience spirituelle : l’importance d’avoir l’impression de vivre quelque chose
Les réponses à la question ouverte du questionnaire qui proposait de raconter une expérience spirituelle et les entretiens qualitatifs révèlent une part relativement importante d’expériences qui font appel à des interventions divines, des songes, du surnaturel de manière générale ou ce que l’Eglise appellerait des miracles. Ces expériences spirituelles ne demeurent pas dans l’intangible ou l’invisible. Au contraire, elles interviennent de manière tout à fait concrète dans la vie quotidienne, au point de lui donner une inflexion particulière. Par exemple : des bougies qui s’éteignent et se rallument, des songes qui ont une signification religieuse, des cicatrices qui s’estompent, des miracles eucharistiques, etc. Parallèlement, les lieux d’expérience spirituelle les plus cités sont tout d’abord les grands événements avec les JMJ puis les pèlerinages et voyages. Il semble donc que l’expérience spirituelle qui touchent le plus les jeunes adultes actuellement soient celles où ils ont réellement l’impression de vivre quelque chose, en d’autres termes « qu’il se passe quelque chose ».
Bien que fréquenté, le rituel de la messe comme tel semble avoir perdu de son sens, car celle-ci est jugée dans les entretiens comme « ennuyeuse ». En revanche, l’on observe un attrait pour une esthétisation de l’expérience spirituelle notamment par l’élaboration d’une atmosphère priante (jeux de lumières et d’obscurité, bougies, décoration de l’autel, etc.) et d’une musique travaillée et portée par un groupe.
Communication avec les jeunes adultes : le bouche-à-oreille conserve la primauté
Graphique 6: Réponses «oui » à la question « Si tu participes à une activité spirituelle ou religieuse, par quel canal en as-tu entendu parler le plus souvent ? »
Comment les jeunes adultes sont-ils informés des événements d’Eglise auxquels ils se rendent ? A l’heure des médias numériques, c’est cependant le bouche-à-oreille qui conserve la primauté de la communication. Il joue un rôle d’autant plus important pour les 16-30 ans qui vont souvent participer à un événement, car ils connaissent d’autres personnes qui y rendent. Les médias numériques, réseaux sociaux en tête, jouent naturellement un rôle important. Mais il ne faut pas oublier les médias traditionnels comme les affiches dans les lieux où ils passent qui jouent pour environ la moitié de notre public un rôle pour participer à un événement.
Les moyens classiques de communication – de personne à personne et par des affiches ou prospectus – ne sont donc pas à négliger. La diversité des moyens utilisés est importante.