Statistique ecclésiale de la Suisse: nombre élevé de membres, mais à l’appartenance fragile
1. Effectif élevé des membres
La statistique ecclésiale catholique pour la Suisse offre une image contrastée de l’institution.
D’un côté, le nombre des membres de l’Eglise connaît depuis quelques années un haut historique, cela principalement en raison de l’arrivée en Suisse d’étrangers de confession catholique. L’Office fédéral de la statistique a dénombré en 2017 exactement 2’524’414 catholiques âgés de plus de 15 ans vivant dans des ménages privés. Si l’on ajoute à ce chiffre environ 15% d’enfants de moins de 15 ans ou vivant ailleurs que dans des ménages privés, par exemple dans des homes, l’effectif des membres de l’Eglise catholique s’élève de fait à environ 2,9 millions d’âmes. D’un autre côté, comme l’immigration en Suisse a légèrement fléchi, on observe une baisse du total des fidèles de l’Eglise catholique de plus de 60’000 par rapport au maximum historique enregistré en 2014.
Au-delà du phénomène migratoire, deux autres facteurs décisifs expliquent les variations de l’effectif des membres: les entrées au sein de l’Eglise et les sorties de l’institution, ainsi que le comportement des parents catholiques en matière de baptême.
Alors que le public manifeste à intervalles réguliers de l’intérêt pour le chiffre des sorties des Eglises, les responsables ecclésiaux, quant à eux, devraient veiller aux évolutions qui se produisent au niveau de la piété de leurs membres et du comportement de ces derniers en matière de baptême. C’est à ce niveau en particulier que les Eglises pourraient avoir le plus de moyens d’action.
2. Entrées au sein de l’Eglise et sorties de l’institution
Les chiffres relatifs aux sorties de l’Eglise catholique varient d’une année à l’autre. Globalement, on peut observer, d’un côté, une «érosion du socle des membres» qui tend petit à petit à s’accélérer et, de l’autre, des «vagues de sorties liées à des circonstances particulières». Un tel phénomène de vague s’est produit en 2018, entraînant une augmentation d’un quart du chiffre des sorties par rapport à l’année précédente.
2.1 Lente érosion due aux sorties d’Eglise
Par érosion du socle des membres, on entend un pourcentage relativement faible des sorties d’Eglise dont la croissance est certes très lente mais régulière. Au cours des dernières années, ce taux a correspondu à un peu moins de 1% de l’effectif total des membres de l’Eglise catholique. En règle générale, on a affaire ici à un éloignement de l’institution qui se cristallise sur de nombreuses années, voire au fil des générations. La plupart du temps, ces sorties d’Eglise ne sont autres que la conclusion d’un bilan tiré pour soi-même des coûts et avantages que recèle la qualité de membre de l’Eglise (payant des impôts ecclésiastiques) et dont le résultat n’est plus perçu comme suffisant pour justifier le maintien d’un rattachement à l’institution. Du côté des Eglises, on réagit à ce type de comportement essentiellement au travers d’une intensification de la communication sur le travail de l’Eglise et ses prestations sociales ou culturelles, ou encore en faisant montre de plus de transparence et de sens des responsabilités dans le domaine du financement ecclésial, comme il en va par exemple à Saint-Gall.
2.2 Vagues de sorties d’Eglise «circonstancielles»
Les vagues de sorties d’Eglise liées à des contextes particuliers viennent s’ajouter de manière aléatoire à l’érosion du socle des membres. Elles émergent lorsqu’une tendance latente à vouloir quitter l’institution se mue en un passage à l’acte, notamment sous l’effet de scandales secouant l’Eglise (par exemple des abus de pouvoir) ou de prises de position impopulaires (en particulier dans le domaine de la morale sexuelle). Dans de telles situations, l’Eglise est soumise à forte pression au niveau de son action et de sa communication: elle doit mettre en avant de manière crédible et convaincante des expériences positives pour faire pièce à l’impact négatif des gros titres de la presse.
Le nombre de sorties de l’Eglise catholique au niveau suisse, qui s’élevait à 20’014 en 2017, a augmenté d’un quart en 2018, pour atteindre 25’366. Il convient d’interpréter cette hausse brutale au premier chef comme une réponse aux innombrables informations sur des abus sexuels et spirituels commis au sein de l’Eglise à travers le monde et à l’inertie de cette dernière à leur endroit (dissimulation, ignorance feinte, absence de transparence de la communication). Le nombre des sorties d’Eglise en 2018 est même plus élevé qu’en 2010, une année durant laquelle on avait déjà assisté à une vague de sorties d’Eglise dans le contexte de la problématique des abus sexuels.
L’Eglise réformée en Suisse a, elle aussi, dû faire face en 2018 à une augmentation du nombre des sorties comparativement à 2017, soit une hausse de près de 10% pour atteindre un total de 21’751 sorties.
2.3 Entrées dans l’Eglise
Les chiffres relatifs aux entrées dans l’Eglise catholique se situent à un niveau très bas par rapport à ceux des sorties. Néanmoins, on observe ces dernières années une légère tendance à la hausse qui, il est vrai, ne saurait de loin pas compenser les départs: si l’on oppose les chiffres des dernières années, la proportion est en moyenne d’une entrée pour vingt sorties. Mais il convient de tenir compte de ce que certains cantons ne connaissent pas d’affiliation à l’Eglise au sens du droit public ecclésiastique, avec pour effet de rendre impossible tout recensement officiel des mouvements d’entrée et de sortie (cette situation à des incidences analogues au niveau du paiement d’impôts ecclésiastiques).
En 2018, le nombre des entrées dans l’Eglise catholique a atteint le maximum recensé jusqu’ici, soit 1’121. Il est frappant de constater que la comparaison avec l’Eglise réformée révèle que cette dernière affiche des chiffres plus élevés: en 2018, 1’978 personnes y ont adhéré.
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3. Rattachement à l’Eglise et réception des sacrements
Une sortie d’Eglise intervient presque toujours à la fin d’un assez long processus d’éloignement de l’institution. La statistique ecclésiale du SPI se rapportant à l’Eglise catholique en Suisse met en évidence ce phénomène de distanciation sur la base des chiffres relatifs à la réception de sacrements en tant qu’actes symboliques importants accomplis dans le cadre de l’institution. Lorsque des membres de l’Eglise renoncent à recevoir des sacrements, il convient d’y discerner souvent le signe d’un éloignement intérieur par rapport à l’Eglise, même si ce comportement n’est de loin pas censé déboucher nécessairement sur une sortie. A noter par ailleurs qu’il existe depuis quelques années un éventail toujours plus large de rituels et de bénédictions remplaçant les sacrements classiques mais qui échappent au radar de la statistique ecclésiale.
3.1 Rattachement à l’Eglise et mariages
Pour mieux comprendre l’évolution de l’effectif des membres de l’Eglise catholique, il convient de se forger une image plus précise du degré de socialisation ecclésiale et de pratique religieuse. L’observation du nombre de célébrations de mariages catholiques révèle que ce sacrement est de moins en moins dispensé. Depuis 2013, il a diminué d’environ 20% pour tomber à 3’200 en 2018. Cette dernière année, sur le total des mariages civils conclus en Suisse où au moins l’un des conjoints était de confession catholique, la proportion des unions célébrées à l’église atteignait encore 22%. Si les deux conjoints étaient catholiques, la probabilité d’un mariage à l’église s’élevait à 36%. Ces observations font apparaître que le mariage religieux ne relève plus du tout de l’évidence pour les catholiques.
3.2 Rattachement à l’Eglise et baptêmes
3.2.1 Baisse du taux de baptêmes en Suisse
Il en va de même du baptême des enfants. Statistiquement parlant, l’évolution des chiffres relatifs à l’affiliation à l’Eglise est censée être tributaire du comportement en matière de baptême des enfants. Lorsque des parents catholiques ne demandent plus ce sacrement pour leur enfant, l’affiliation de ce dernier à l’institution «se termine avant même d’avoir pu commencer».
Le choix des parents de faire baptiser ou non leur enfant dans l’Eglise catholique dépend de divers facteurs. Dans le cas d’un couple purement catholique, les chances que les enfants soient baptisés sont plus élevées que si un seul des deux parents est membre de l’Eglise catholique. En cas de rattachement confessionnel ou religieux différent des parents, la propension à faire baptiser son enfant diminue également d’un point de vue statistique. Et cette observation se vérifie plus encore lorsqu’un des parents n’a aucune appartenance religieuse.
Au-delà de cette concurrence entre visions du monde, convictions religieuses ou rattachements confessionnels différents au sein d’une même famille, on distingue un autre facteur d’influence important: quel est le degré d’intégration ecclésiale des parents catholiques? Ont-ils encore demandé à être confirmés? Se sont-ils mariés à l’église et, en particulier, selon le rite catholique? Lorsque la socialisation ecclésiale catholique des parents est déjà faible, leur propension à demander le baptême pour leurs enfants se situera probablement à un très bas niveau.
3.2.2 Taux de baptêmes en Suisse
Ces observations et thèses trouvent leur confirmation dans la statistique ecclésiale. Le nombre des baptêmes catholiques entre 2013 et 2018 a baissé de 11%. En 2018, 18’568 baptêmes catholiques ont été dispensés, dont plus de 98% à des enfants ou à (beaucoup plus rarement) des adolescents. Globalement, ce chiffre des baptêmes représente environ 21% du nombre des naissances recensées en Suisse. Certes, on peut partir de l’idée qu’au vu de la proportion importante que représente les personnes issues de la migration au sein de la population catholique en Suisse (2017: 38%), de nombreux enfants nés dans notre pays sont baptisés à l’étranger et, partant, échappent aux relevés de la statistique ecclésiale. En effet, cette proportion de 21% d’enfants baptisés dans l’Eglise catholique est sensiblement plus faible que le pourcentage des catholiques au sein de la population suisse (36% en 2017).
Des estimations grossières ainsi que des modèles permettent d’avancer la thèse selon laquelle il n’y a plus de transmission aux enfants de l’affiliation à l’Eglise dans près de 20 à 50% des cas. Cette rupture intrafamiliale de l’appartenance à l’Eglise est certes plus ou moins marquée selon les régions mais lance un défi à l’Eglise catholique à l’échelon de la Suisse.
L’Eglise protestante est également confrontée à une situation similaire. En 2018, son taux de baptêmes s’est élevé à plus de 13% des naissances enregistrées en Suisse dans l’année, alors que le pourcentage des réformés au sein de la population atteint tout juste 24% (2017).
3.2.3 Taux de baptêmes selon les régions linguistiques et les diocèses en Suisse
La transmission du rattachement à l’Eglise au travers de la famille présente des différences selon les diocèses et les régions linguistiques du pays. Pour simplifier, ces dernières ont été délimitées en fonction de la langue parlée majoritairement dans les cantons ou les diocèses (diocèses de Sion et de Lausanne-Genève-Fribourg: région francophone; diocèse de Lugano: région italophone, diocèses de Coire, de Bâle et de Saint-Gall: région germanophone). Pour servir de base de calcul approximative, la statistique ecclésiale utilise ci-après le taux que représente le nombre des baptêmes dispensés comparativement au nombre des naissances recensées au sein de la population catholique résidente.
Au sein des diocèses alémaniques, où la proportion de la population catholique est de 32%, quelque 20% des nouveau-nés et petits enfants ont été baptisés en 2018. Cela équivaut, au sein de la population catholique, à un taux de baptêmes moyen de plus de 60%, mais pouvant varier entre 75% dans le diocèse de Saint-Gall et 54% dans celui de Coire.
Pour ce qui des diocèses francophones, le pourcentage des baptêmes a atteint 22% des naissances, toutefois dans un contexte différent: dans cette région, le pourcentage de la population catholique représente 41% du total des habitants. Ici, le taux moyen des baptêmes est de plus de 50%, mais inférieur à cette limite dans le diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg. Il grimpe en revanche à près de 65% au sein du diocèse de Sion. Dans le diocèse de Lugano, 1’344 enfants ont été baptisés dans l’Eglise catholique en 2018, ce qui correspond à 53% des naissances alors que la population y est constituée de catholiques à raison de 65%. Le diocèse de Lugano atteint dès lors un taux de baptêmes de plus de 80%.
On constate dès lors des différences considérables d’un diocèse à l’autre et entre régions linguistiques. Tandis que dans les évêchés de Lugano et de Saint-Gall, près de huit enfants sur dix sont baptisés, ils le sont respectivement à raison de sept sur dix et de six sur dix dans ceux de Sion et de Bâle. Les taux les plus faibles sont mesurés dans les diocèses de Coire et de Lausanne-Genève-Fribourg: là, environ un enfant sur deux est baptisé au sein de la population catholique. Il est frappant aussi que ces proportions aient diminué de manière générale au cours des dernières années, sauf dans le diocèse de Lugano.
Conclusion: le baptême fait manifestement l’objet d’une remise en cause au sein de la population catholique. Certes, les enfants y sont encore baptisés en majorité, mais le sacrement a perdu son caractère d’évidence dans nombre de régions de Suisse.
Cette évolution est relativement récente et laisse transparaître une fragilité grandissante des liens que les membres de l’Eglise catholique entretiennent avec elle. Dans notre pays, les Eglises tant catholique que réformée sont confrontées toujours davantage au fait qu’une majorité d’enfants et d’adolescents grandissent sans aucune affiliation à ces institutions.
3.2.4 Raisons expliquant les différences d’un diocèse à l’autre et entre régions linguistiques
Les proportions variables de non-baptisés au sein des régions linguistiques pourraient avoir des causes diverses:
En tant que canton où la religion catholique est dominante, le Tessin est moins marqué que les autres régions linguistiques par les constellations familiales mixtes sur le plan confessionnel. Dès lors, le maintien du rattachement à l’Eglise au fil des générations ne fait pas, dans le diocèse de Lugano, l’objet d’une remise en question aussi forte qu’ailleurs en Suisse. S’ajoute l’existence d’une structure typique de l’habitat constituée de petites entités rurales au sein desquelles les traditions religieuses sont particulièrement stables et occupent une grande place dans le quotidien des individus. Le même constat peut être fait dans des zones structurées de manière similaires au sein d’autres régions linguistiques, à savoir dans les cantons campagnards portant l’empreinte du catholicisme.
En ce qui concerne la Suisse francophone, divers facteurs spécifiques sont à prendre en compte:
tout d’abord, il faut avoir clairement à l’esprit l’empreinte migratoire exceptionnellement forte marquant la population catholique des cantons de Genève (69% de personnes issues de la migration) et de Vaud (65% de personnes issues de la migration). Ainsi qu’on l’a déjà mentionné plus haut, cette réalité est susceptible d’avoir pour conséquence que les familles catholiques issues de la migration tendent à célébrer les baptêmes dans leur pays d’origine comme une «fête de famille». Or, ces baptêmes n’apparaissent pas dans la statistique ecclésiale suisse.
Une deuxième cause de l’importante proportion de non-baptisés peut résider dans le fait qu’un tout petit nombre seulement de cantons francophones connaissent le modèle de l’affiliation à l’Eglise (et des impôts ecclésiastiques individuels) régie par le droit public ecclésiastique, lequel ouvre la possibilité de sortir formellement de l’Eglise. Par conséquent, dans le reste de la Suisse francophone, sortir de l’Eglise est exclu. L’éloignement personnel de l’institution s’y traduit généralement par une inactivité ecclésiale et non pas par une sortie susceptible d’être recensée, sauf dans le cas rarissime d’une apostasie, autrement dit un rejet officiel de la foi et de l’Eglise au sens du droit canonique.
Cela explique pourquoi, la statistique ecclésiale du SPI n’annonce pour les cantons de Genève, de Neuchâtel, de Vaud et du Valais qu’un nombre infime de sorties. Face à ce contexte romand où il existe selon toute probabilité une proportion passablement élevée de membres de l’Eglise se tenant de longue date à distance de l’institution, il est permis de relativiser quelque peu le taux important de non-baptisés.
De leur côté, les cantons alémaniques ne comptent, comparativement à la moyenne des cantons romands, qu’une faible proportion de migrants au sein de leur population catholique résidente. Il en résulte que l’impact des baptêmes célébrés à l’étranger devrait y être moindre. De plus, le système répandu en Suisse alémanique de l’affiliation à l’Eglise régie par le droit public ecclésiastique suscite probablement un lien plus fort entre l’institution et ses adhérents. Et ce, à d’autant plus forte raison que l’Eglise catholique en Suisse alémanique dispose à divers échelons de moyens plus étendus qu’ailleurs en Suisse de se rappeler au souvenir de ses membres et de renforcer les liens avec eux. On songera ici par exemple à la catéchèse à la fois professionnalisée et partiellement ancrée dans le système scolaire, à une pastorale de la jeunesse très ramifiée et de type associatif ou à la distribution régulière de bulletins paroissiaux à l’ensemble des membres de l’Eglise. Enfin, les possibilités offertes de participer aux décisions de manière démocratique en matière ecclésiale contribuent, en Suisse alémanique, à ce que le rattachement à l’Eglise soit vécu plus intensément.
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4. Conclusions et perspectives
4.1 Conclusions
L’image que la statistique ecclésiale reflète de l’Eglise catholique en Suisse est ambivalente. Certes, d’un côté, le nombre durablement élevé des membres peut faire songer à une navigation sur un fleuve tranquille mais, de l’autre, on distingue aussi, sous le miroir de l’eau, des tourbillons et des hauts-fonds qui la rendent périlleuse.
Beaucoup d’éléments incitent à penser que l’Eglise catholique en Suisse, surtout du fait de sa forte empreinte migratoire, peut être perçue comme une constante au sein de la population helvétique. Certes, la part que représente la population catholique résidente au sein de l’ensemble de la population suisse tend à diminuer, mais elle s’est révélée stable jusqu’à tout récemment si on compare sa situation à celle de l’Eglise réformée.
Toutefois, lorsqu’on évalue l’état d’esprit des catholiques à l’aune de l’intensité de leurs liens vécus avec l’Eglise, l’image d’une érosion interne de l’ecclésialité s’impose: la participation à des actes religieux importants accomplis au sein de l’Eglise diminue. Après le constat effectué de longue date déjà d’une grande faiblesse du nombre des ordinations sacerdotales et des confessions, mais également d’une baisse régulière des mariages à l’église, on observe parallèlement ces dernières années un recul des baptêmes. De multiples éléments incitent à penser que la fragilisation des liens entretenus entre les membres de l’Eglise et cette dernière va conduire à plus ou moins long terme à une érosion croissante du nombre des membres. Ce phénomène se traduit par des sorties d’Eglise ou par la fin du rattachement à l’Eglise induite par l’absence de baptêmes des enfants.
Quand on sait que derrière les chiffres de sorties d’Eglise, il se cache davantage de jeunes que de personnes d’un certain âge se détournant de l’Eglise, force est de constater un recul plus marqué de l’appartenance à l’Eglise catholique au sein des nouvelles générations. Cela conduit dans ces groupes d’âge à un déplacement de la «normalité culturelle»: chez les jeunes en Suisse, surtout s’ils vivent dans un monde de type urbain, être membre de l’Eglise relève de plus en plus du phénomène exceptionnel. A l’inverse, la sortie d’Eglise ou l’inexistence dès la naissance de rattachement confessionnel commence à devenir la règle dans la société.
4.2 Perspectives
4.2.1 Renforcer les liens avec les membres
Reconquérir des personnes sorties de l’Eglise demande beaucoup plus d’énergie que d’investir dans les liens qu’entretiennent avec l’institution des individus demeurés en son sein tout en ayant déjà pris des distances avec elle. En tant que membres, ils sont en principe encore facilement atteignables, mais il convient de comprendre avec précision la vision qu’ils ont d’eux-mêmes et leurs besoins. Font partie de ces derniers surtout l’aspiration à une autonomie pour ce qui a trait à la religion et à la manière de vivre. De même, il convient de reconnaître la vision qu’ont d’eux-mêmes de nombreux membres de l’Eglise qui s’en sont détachés, lesquels considèrent qu’il est normal de garder des distances avec l’institution au quotidien et de s’en tenir à une pratique minimaliste de la religion. Dès lors, nombreuses sont les manifestations d’intolérance à l’égard de conceptions idéales nourries par l’Eglise à l’endroit d’une participation active à sa vie: les personnes qui ont pris leurs distances se refusent souvent à «se laisser activer». Elles ne voient aucunement dans leur comportement une lacune mais, au contraire, la forme normale de la religiosité en Suisse. Ici, il ne suffit probablement pas pour l’Eglise catholique de rappeler avec une haute idée de soi les prestations qu’elle assure et son importance. Mieux vaudrait pour elle d’insister sur la reconnaissance due aux membres invisibles de l’Eglise pour le soutien qu’ils lui assurent au travers des impôts ecclésiastiques ou sur le reste de sympathie qu’ils lui manifestent.
4.2.2 Inverser le phénomène d’éloignement religieux
De nombreux individus maintiennent leur affiliation à l’Eglise parce qu’ils reconnaissent et apprécient les prestations à caractère social des Eglises. Mais sans une sympathie des membres en matière religieuse, même rudimentaire, à l’égard de l’institution, celle-ci ne pourra guère compter durablement sur leur soutien dans la lutte concurrentielle qui se joue avec les prestataires de services sociaux. Cela vaut en particulier si les membres éprouvent le sentiment que leur Eglise n’a rien à leur apporter au niveau religieux et spirituel. Le problème crucial de l’érosion du rattachement à l’Eglise est à considérer sérieusement en tant que manifestation d’un défaut de pertinence de l’Eglise des points de vue religieux et spirituel aux yeux de nombreux individus. A cet égard, l’éloignement des réalités de la vie des couples et des familles dans certaines franges de l’Eglise joue un rôle important. Ici, il manque manifestement une proximité religieuse au quotidien. Du côté de l’Eglise, le moment est venu dès lors de réfléchir aux réponses que la religion apporte à des questions auxquelles les individus sont réellement attachés mais qui, jusqu’ici, n’ont guère été abordées dans la pratique religieuse et la communication. Pour de nombreux acteurs ecclésiaux, cela devrait aussi signifier de prendre pour point de départ d’un nouveau travail d’établissement de liens religieux non pas la distance prise par les individus à l’endroit de l’Eglise mais la reconnaissance d’un éloignement de vastes pans de l’institution d’avec eux. La pertinence du message de l’Eglise ne saurait être découverte et profilée qu’avec ses destinataires et non pas pour eux.
4.2.3 Donner une nouvelle définition du lieu sociétal
Quiconque fera valoir uniquement les parts que représentent les populations de confession catholique romaine et réformée au sein de la population suisse pour légitimer au futur le rôle de droit public ecclésiastique reconnu aux Eglises dans la plupart des cantons de notre pays risque fort de se heurter sans tarder à des problèmes. Il appartient aux grandes Eglises de définir de façon nouvelle et constructive leur rôle et leur place dans la société suisse. Des minorités doivent aussi pouvoir compter notamment sur une reconnaissance sociétale, juridique et politique à un haut niveau si elles s’engagent de manière crédible et convaincante pour le bien de tous.
Ici, les Eglises sont appelées à formuler en des termes nouveaux les tâches premières qui leur incombent et leur mission, ainsi qu’à passer à l’acte. Si l’on observe les conflits qui les agitent aujourd’hui, on peut y discerner clairement la quête d’une nouvelle vision de leur rôle missionnaire: les Eglises doivent-elles se profiler sur la base d’un lien plutôt étroit avec la tradition ou se distinguer de la société en tant que collectivité alternative? Ou, plutôt, doivent-elles, au nom d’une confiance dans une tradition vivante et ouverte sur l’avenir, se mettre au service de la société et en rechercher la proximité? Cela parce que ce n’est que dans une proximité avec les hommes qu’elle parviendra aussi à discerner ce qui constitue fondamentalement sa tradition?
4.2.4 Affronter les conflits, laisser la porte ouverte aux surprises et permettre le changement
De longue date, on reconnaît dans les Eglises que la situation est sérieuse. Toutefois, jusqu’ici, les défis qui s’annoncent et la question du sens de leur mission aujourd’hui semblent donner lieu à des conflits et à des ruptures entre les croyants plutôt que susciter un nouveau départ entrepris en commun.
Désormais, les directions des Eglises sont mises en demeure d’organiser la recherche active d’issues et d’affronter les conflits. Du côté des instances pastorales, cela signifie ceci: oser regarder les choses de près et écouter, reconnaître les faits mais aussi d’être ouvertes à des visions et interprétations surprenantes. Les organismes de droit public ecclésiastique sont également interpellés: ils doivent aussi procéder à une analyse honnête de la situation des Eglises et se montrer prêts à se lancer dans des changements importants au profit de nouvelles priorités.
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